Plongez dans le grand bain des cépages rares et oubliés

10/08/2025

Pourquoi s'intéresser aux cépages hors des sentiers battus ?

Certes, votre caviste mettra rarement en avant un Pineau d’Aunis ou une Mondeuse noire, mais ces cépages recèlent une autre facette du plaisir œnologique. En France, par exemple, on dénombre officiellement plus de 250 cépages autorisés en AOC (source : INAO). Pourtant, moins de 30 trustent l’essentiel de la production ! Le résultat : la richesse viticole de nos terroirs est, en partie, laissée de côté.

  • Redécouvrir un patrimoine : Nombre de ces cépages reflètent l’histoire et l’évolution de nos régions viticoles, avant le “tri” du XXe siècle vers des variétés plus productives ou résistantes.
  • S’ouvrir à des profils aromatiques inédits : Beaucoup révèlent des arômes, des textures ou des équilibres inattendus.
  • Encourager la diversité ampélographique : Favoriser la culture de ces cépages, c’est aussi soutenir la biodiversité, essentielle face au changement climatique.

Voyons quelques-uns des plus fascinants cépages rares ou oubliés, et les petites pépites qu’ils réservent.

Some stars (très) discrètes : 8 cépages à ne pas rater

  • Pineau d’Aunis – Loire
  • Savagnin Vert – Jura
  • Trousseau – Jura (aussi appelé Bastardo au Portugal)
  • Terret – Languedoc
  • Petit Manseng – Sud-Ouest
  • Romorantin – Loire
  • César – Bourgogne, à l’ouest de Chablis
  • Piquepoul noir – Languedoc

Impossible d’être exhaustif, bien sûr, mais ces raisins-là ont de quoi muscler votre curiosité œnophile. Approfondissons certains profils.

Pineau d’Aunis : le poivre de la Loire

Originaire de la vallée du Loir (oui, sans le “e”, il s’agit du petit Loir), ce cépage rouge suscite parfois la surprise : peu coloré, il peut ressembler à un gamay mutin, mais c’est son côté poivré qui saisit. Il donne des vins où le poivre blanc, la girofle et les petits fruits rouges jouent à cache-cache.

  • On le trouve où ? Principalement en appellation Coteaux du Loir, sur des sols d’argile à silex. Vous en verrez aussi à Saumur et en Anjou, parfois en rosé.
  • Pourquoi c’est rare ? Victime d’un arrachage massif au siècle dernier, il ne subsiste plus qu’environ 400 hectares cultivés (Source : InterLoire, 2023).
  • Un vin pour quoi ? Sa fraîcheur poivrée fait merveille sur une volaille rôtie ou des rillettes – l’accord local par excellence !

Exemples de domaines : La Grapperie, Domaine Bellivière, Domaine de la Roche Bleue.

Terret gris et Terret blanc : les Languedociens à redécouvrir

Le Terret, longtemps l’un des cépages phare du Languedoc au XIXe siècle (plus de 15 000 hectares au début du XXe ! Source : Pierre Galet, ampélographe), ne survit aujourd’hui que sur quelques centaines d’hectares, principalement autour de l’étang de Thau.

Ces variétés — blanc et gris — donnent des vins à la fois salins, vifs, parfois iodés, idéaux avec des huitres ou des tellines. Dans les Corbières, certains vignerons remettent le Terret en lumière dans des assemblages, ou en pur pour les “vin de France”.

  • Le Terret blanc offre une aromatique discrète mais subtile, sur la poire, l’anis ou la noisette fraîche
  • Le Terret gris développe des notes plus florales ou fruitées, sur le melon ou la pêche de vigne

Trousseau : le rebelle du Jura

Connu aussi sous le nom de Bastardo au Portugal, où il participe aux assemblages du Porto, le Trousseau explose d’épices, de fruits rouges et de notes terreuses dans le Jura. Il est plus tannique que le fameux Poulsard, et il supporte très bien la garde.

  • On en trouve ? Exceptionnellement en monocépage depuis une vingtaine d’années, après une longue éclipse. Moins de 200 hectares en France (source : Vins du Jura AOC Bureau, chiffres 2023).
  • À table ? Un Trousseau ouvert sur du gibier, un veau rôti, ou même une truite façon “bleue” vous surprendra.
  • Domaines de référence : Domaine du Pelican, Jean-François Ganevat, Domaine de la Borde.

Petit Manseng : petit par le nom, grand par la palette aromatique

Originaire des Pyrénées, le Petit Manseng est souvent associé à des vendanges tardives et des moelleux spectaculaires (notamment en Jurançon). Il se distingue par une intensité aromatique incroyable : fruits exotiques, ananas, miel d’acacia, gingembre confit… Le tout, sur une trame acidulée qui évite tout effet “lourd”.

À noter que la superficie mondiale de Petit Manseng ne dépassait pas 1 200 hectares en 2020 selon OIV. Les grands domaines de Jurançon, mais aussi certains vignerons du Gers ou du Béarn, expérimentent de plus en plus des secs ou des blancs de gastronomie.

Romorantin : le secret le mieux gardé de la Loire ?

Le Romorantin, introduit au XVIe siècle par François Ier, raconte l’histoire de la Loire viticole. Il est aujourd’hui concentré sur le minuscule vignoble de Cour-Cheverny (à peine 60 hectares inscrits en AOC en 2023, source : Vins de Cheverny).

S’il a quasiment disparu d’autres régions, ce cépage livre pourtant des blancs nerveux, à la fois citronnés, miellés, et... fameux sur des fromages de chèvre affinés ou un simple sandre au beurre blanc. Notons que son patrimoine génétique est proche du Chardonnay, mais il garde une acidité et une tension uniques.

César, l’extravagant de l’Yonne

Quasi inconnu en dehors de l’Yonne, le César, cépage rouge, parfume les vins d’Irancy d’une nuance charpentée, presque tannique. Selon l’INAO, il couvrait jadis plusieurs milliers d’hectares vers Chablis, mais il n’en reste aujourd’hui que quelques parcelles.

Le César apporte structure et couleur dans les assemblages avec le Pinot noir, mais certains vignerons, têtus (et inspirés), le vinifient encore en pureté. Attendez-vous à une explosion de fruits noirs, de poivre, parfois de sous-bois.

Piquepoul noir : le frère discret du Picpoul blanc

L’appellation Picpoul de Pinet concerne surtout le célèbre Picpoul blanc, compagnon idéal des fruits de mer. Mais saviez-vous qu’il existe aussi un Piquepoul noir ? Longtemps moins exploité pour ses rendements modestes, il offre aujourd’hui des vins frais, sur la griotte et le cassis, légers mais intensément fruités.

La surface plantée reste très marginale : on l’estime à moins de 70 hectares en 2024 (source : CIVL, Comité Interprofessionnel des Vins du Languedoc). Certains domaines de l’Hérault et du Gard en tirent des rouges estivaux ou des rosés de caractère.

Ailleurs : quand les cépages rares se rebellent hors de la France

Si la France cultive ses trésors cachés, elle n’a pas le monopole du cépage antique remis au goût du jour :

  • En Italie, le Timorasso, originaire du Piémont, longtemps menacé d’extinction, opère un retour spectaculaire grâce à Walter Massa et d'autres artisans. Sa surface plantée a bondi de 7 hectares en 2000 à plus de 170 aujourd’hui (Source : Consorzio Tutela Timorasso).
  • En Espagne, la Maturana tinta renaît dans la Rioja, où elle n'était plus connue que sous des synonymes, alors qu’elle donne des rouges originaux à la fois sauvages et mentholés.
  • En Suisse, le Petite Arvine, rare mais somptueuse, séduit par ses arômes de rhubarbe et d’agrumes, idéale sur un poisson du lac ou un fromage d’alpage.

À l’échelle internationale, on compte d’ailleurs environ 10 000 variétés de vigne recensées, dont à peine 1 400 réellement exploitées commercialement (source : OIV, 2023). Replanter du rare n’est donc pas qu’un caprice, c’est cultiver la mémoire et agrandir le terrain de jeux des sens.

Savoir reconnaître, apprécier et trouver un cépage rare

Pas de panique ! On ne déclame pas "Donnez-moi une bouteille de Terret gris" chez le caviste du coin comme on demanderait un Côte-du-Rhône.

Quelques conseils pour partir à la chasse aux perles :
  • Repérez les foires aux vins thématiques, les salons de vignerons indépendants ou les marchés bio : c’est souvent là que les plus audacieux présentent leurs cuvées “hors série”
  • Ouvrez l’œil sur les contre-étiquettes : de plus en plus de domaines valorisent ces cépages peu connus et les mentionnent fièrement
  • Suivez les AOC ou IGP moins connues (Coteaux du Loir, Cour-Cheverny, IGP “Côtes de Thongue” dans l’Hérault…) qui sont souvent les refuges discrets de ces variétés
  • Prenez le temps de déguster : chaque cépage, travaillé par un vigneron passionné, peut vous faire découvrir un territoire sous un nouvel angle

Accords insolites : osez marier vos découvertes

Parmi les meilleures surprises : associer un Pineau d’Aunis avec une saucisse grillée et des herbes fraîches, un Trousseau sur des plats à base de champignons ou de gibier, ou encore un Petit Manseng ouvert comme apéritif sur un fromage à pâte persillée. Ces combinaisons, parfois inattendues, soulignent la richesse insoupçonnée de ces cépages et titillent l’imagination.

Explorer le vin, c’est aussi redonner une chance aux oubliés

Que valent ces cépages oubliés face aux stars mondiales ? Ils racontent une autre histoire. Celle d’hommes et de femmes qui sauvegardent un patrimoine, et celle d’une sensorialité hors des normes établies. Si un vin peut encore vous surprendre, le détour est largement rentable. Pour continuer à explorer ce registre fascinant, gardez l’esprit curieux et posez des questions à vos vignerons, cavistes et lors de vos dégustations. La prochaine grande découverte pourrait bien se cacher dans un verre de César, de Terret ou de Romorantin.

Envie de vous lancer ? Parcourez la rubrique Apprendre le vin du Grand Blog du Vin. Vous y trouverez des focus, des fiches pratiques et l’agenda des salons où rencontrer ces cépages rares... et surtout, des idées pour aiguiser vos papilles tout en vous amusant.

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